ANFORM MARTINIQUE N86

10 anform ! • septembre - octobre 2019 et doit rester, elle reviendra, sinon c’est que ce n’était pas si important que ça.” Devenue un personnage médiatique en même temps qu’elle est devenue écrivaine, Estelle- Sarah Bulle sacrifie de bonne grâce aux attentes de son compte Insta- gram. “Je le vois comme un outil pour mon éditeur, les libraires, etc., sinon, je ne prends jamais de photos”, reconnaît-elle. Même pas en famille ? “Non plus”, rit-elle. Estelle-Sarah Bulle donne spon- tanément la priorité au moment présent. “Je n’ai même pas de clé USB, ni d’ordinateur à moi”. Son premier roman est né sur l’écran de l’ordinateur familial, celui sur lequel ses enfants regardent des dessins animés ou jouent aux jeux vidéo. BONNE ÉLÈVE Peu importe le choix de l’outil, son plaisir d’écrire lui, remonte aux premières dissertations au collège. “J’étais très bonne élève et j’ado- rais la rentrée où je retrouvais mes amis après les grandes vacances en Guadeloupe, déconnectée de ma banlieue et de mon école.” Elle aimait encore davantage que la professeure de français lise à haute voix sa dissertation. Aujourd’hui, son public la lit partout en France et, notamment, aux Antilles. Une notoriété et une reconnaissance qui ont, de fait, catalysé pas mal d’émotions chez elle, faisant naître un attachement à son île encore un peu plus singulier. Elle se souvient qu’en tant qu’enfant métisse, elle ••• se sentait proche de cette culture tout en n’y étant pas rattachée dans sa vie. Au fil des vacances en Gua- deloupe elle s’est fait l’oreille au créole en écoutant son grand-père, ses oncles, ses tantes et, pendant l’année, c’est la littérature française qui occupait ses cours de lycée et d’hypokhâgne. Faire le lien entre les deux, en découvrant Texaco et les mots de Patrick Chamoiseau, en 1992, fut une première révé- lation intime et intellectuelle. “Ça m’a permis de comprendre qu’il n’y avait pas de hiérarchie entre les deux langues, que l’on pouvait être aussi romantique et aussi poétique en écrivant en créole qu’en fran- çais.” LIVRE JEUNESSE À son tour de réunir deux cultures et deux histoires, à travers les souvenirs de son personnage prin- cipal, une femme nommée Antoine qui raconte à sa nièce l’histoire familiale, et donc celle de la Gua- deloupe, depuis la fin des années 1940. Des professeurs d’histoire et de français en ont même fait un de leurs supports de cours au lycée, “pour son volet historique et parce qu’il est question d’exil et de double culture, ce qui parle à beaucoup d’élèves”, explique Estelle-Sarah Bulle, heureuse de cette trans- mission. Ce nouveau métier qui semble avoir toujours été le sien, elle en savoure et en explore tous les aspects. En janvier 2020, elle publiera un livre jeunesse et elle prépare son deuxième roman. Son mari sera sans doute à nouveau son premier lecteur et ses enfants s’habitueront à voir ou entendre leur maman à la télévision, la radio ou dans les librairies. Seule son aînée, 13 ans, n’est pas embal- lée par le nouveau métier de sa maman. Écrivaine, “ça fait bizarre” au moment de remplir les fiches de contact en début d’année scolaire, comparé à un papa contrôleur des impôts, une maman infirmière ou avocate. Dans les romans comme dans la vie, l’histoire familiale est ainsi faite, elle se construit autant qu’elle s’apprivoise. © DR

RkJQdWJsaXNoZXIy NzAwODEx