

janvier - février 2016
•
anform !
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psycho
s’effondrer et se dissoudre complè-
tement dans la présence à l’autre.
La personnalité disparaît. Elle devient
totalement manipulable”.
Audrey, elle,
vit depuis 4 ans avec un homme qui
aime une autre femme. Un huis clos
étouffant, un ménage à trois, où elle
patiente, où elle souffre à cause de
cet homme qu’elle ne parvient pas à
quitter.
“Il me fait patienter, il me dit
qu’il va bientôt se consacrer tout à
moi, mais cela dure et je n’en peux
plus. Pourtant, je n’ai pas de solution,
je l’aime.”
Élodie est allée encore plus
loin, jusqu’à disparaître dans ce lien
mortifère :
“J’ai aimé un homme qui
était en prison pour meurtre. J’ai tout
fait pour qu’il sorte, pour qu’il tienne
le coup. Nous nous sommes mariés
en prison. Depuis qu’il est libre, il me
frappe et me harcèle. Je ne suis plus
rien, je lui ai tout donné.”
SIGNAL D’ALERTE
Amour à mort. Mort de l’autre, sym-
bolique ou réelle. La littérature, la
poésie, l’histoire sont pleines de ces
amours tragiques, capables des plus
terribles ou des plus sublimes folies.
Shah Jahan, empereur moghol, brisé
par le chagrin, fit édifier le Taj Mahal,
tout de marbre blanc, avec une cou-
pole haute de 137 mètres, pour Arju-
mand, son épouse morte en mettant
au monde son 14
ème
enfant. C’est sans
conteste le monument emblématique
de l’amour fou. 20000ouvriers mirent
20 ans à construire cette merveille du
monde. Entre héroïsme et sacrifice,
capable d’inciter au pire comme au
meilleur, l’amour est un moteur aux
rouages étranges. Alors, comment
définir les limites à ne pas franchir ?
“La frontière est à la fois personnelle
et collective, indique le psychologue
Raphaël Spéronel. Quand il y a dé-
bordement et excès, chacun le sait
et le sent. Pourtant les limites sont
très difficiles à donner de l’extérieur
(conseils et remarques des amis n’ont
généralement aucun effet) et quasi
impossibles à donner de l’intérieur
où la raison cartésienne a abdiqué.
Le temps est une limite. Il permet une
première décantation, une fois passée
la folie amoureuse des débuts. Il per-
met “l’arrêt-flexion”. On peut alors faire
un travail, le principe de réalité revient,
il va modeler l’impact amoureux pour
le ré-humaniser, le juguler. Dès qu’on
entre dans des processus qui amènent
une dépersonnalisation, on n’est plus
dans le désir ou le plaisir de plaire.”
Alors devenir blonde pour lui ou subir
une opération de chirurgie esthétique,
pourquoi pas. Mais pas si ça agresse
mon sentiment intérieur qui me dit
“je
ne veux pas le faire et pourtant je le
fais”
.
“C’est un signal d’alerte,
pour-
suit Raphaël Spéronel.
Il ya une notion
d’effraction. Tant qu’il s’agit d’un jeu
librement consenti, avec un contrôle
interne des éléments régulateurs de la
personnalité, il n’ya pas de problème.
Quand on est frappé par le désir et
qu’on veut se conformer au désir
de l’autre, alors les signaux d’alerte
doivent se mettre en place.”
© ISTOCK
Le Taj Mahal est
sans conteste le monument
emblématique de l’amour fou.